En janvier 2012, notre fils est né chez nous, dans notre cabane autoconstruite en bois, terre et paille. Deux sage-femmes de Montferrier (à côté de Montpellier) ont accepté de faire une heure et demi de route pour venir nous assister lorsque notre bébé pointerait son nez. Militantes et dévouées, elles nous ont permis de vivre notre rêve: Accueillir notre enfant dans la douceur de notre nid douillet. C’était un moment magique et je souhaite vous faire part de notre expérience et de ce que j’ai appris.
Émerveillée, je découvre le tout petit humain pelotonné contre moi. Enlacés dans les vapeurs du bain, mon nouveau-né semble aussi étonné que moi. Le père savoure l’instant. Il sourit…
La sage-femme est là. Présence silencieuse, rassurante et pudique. On l’oublierait presque. C’est là tout son art: savoir se faire oublier lorsque tout va bien. Et si tout va bien c’est beaucoup parce qu’elle est là et qu’elle a su dissiper la peur, instaurer la confiance.
La sage-femme: une aide précieuse
Durant tout l’accouchement, elle m’a suivie. Par téléphone d’abord. Tant que les contractions étaient faibles et peu douloureuses, je me reposais chez moi, réunissant mes forces, tout en la tenant informée de l’évolution. Puis lorsque j’ai commencé à souffrir, elle est arrivée. Tout de suite, elle m’a offert son épaule pour m’appuyer et m’a trempé des gants de toilettes dans de l’eau tiède pour soulager mon entrejambe. Elle renouvelait sans cesse les cataplasmes, parfois au prix de contorsions pour suivre les mouvements instinctifs de mon corps. Accroupie, à quatre pattes, j’appréciais, dans l’épreuve, ma liberté de mouvement et les paroles encourageantes de Julie, la sage-femme: « Très bien, tu fais ça très bien, continue, c’est parfait! »
Le secret: Oser suivre ses instincts
Tout ce que je faisais, c’était oublier tout ce qui m’entourait. Je sentais que c’était à moi de jouer: Déployer mes antennes, suivre mon instinct, me mettre à l’écoute de mon corps et de mes besoins. Oser satisfaire mes envies immédiates, changer d’avis, tester autre chose…
J’avais senti que cette liberté me serait indispensable et c’est pour cela que j’avais choisi d’accoucher chez moi. Ainsi, je pouvais m’offrir les meilleures conditions possibles pour donner la vie, entourée des seules personnes que je souhaitais à mes côtés. Toutes mes lectures et recherches sur le sujet m’avaient incitée à vouloir accoucher chez moi plutôt qu’à l’hôpital. L’accouchement n’est pas une maladie et ma grossesse n’avait rien de pathologique donc je ne voyais pas l’utilité de l’hôpital. Je souhaitais vivre ce moment intense chez moi.
Que les femmes se réapproprient l’art de donner la vie
Durant la grossesse, nous avions assistés, mon compagnon et moi, à une conférence passionnante de Michel Odent dont je vais vous résumer le propos. Cela me semble important que les femmes sachent ce qui se passe dans leur corps lors de cette expérience pour qu’elles puissent se réapproprier l’art de donner la vie et de décider comment elles veulent le faire. Aujourd’hui, la science, par la voix de médecins gynécologues obstétriciens tels que Frederic Leboyer ou Michel Odent, montre que la nature est merveilleusement faite et que la médecine peut lui faire confiance, se contentant d’être là, en cas de dérapage, mais sans intervention systématique absurde et dérangeante.
La science au service de la nature
Michel Odent est obstétricien. Il agit en faveur des accouchements naturels. Il explique que l’accouchement (l’ouverture du col) est orchestré par la libération d’une hormone naturelle : l’ocytocine1. C’est l’ocytocine qui « ouvre le passage » et permet à l’enfant de naître. Les femmes libèrent naturellement cette hormone au moment de l’accouchement, sauf si elles sont stressées ou entravées. Ce qui est souvent le cas à l’hôpital2. Pour que l’ocytocine puisse se libérer naturellement dans l’organisme de la femme qui accouche, trois conditions sont nécessaires.
Les trois conditions d’un accouchement naturel:
Tout d’abord, l’ocytocine (l’hormone de l’amour) ne peut se libérer que dans un climat de sécurité et de confiance. En effet, l’adrénaline (hormone du stress) inhibe la production d’ocytocine. En bref, la femme ne peut pas accoucher dans une ambiance où elle n’est pas à l’aise. Il lui faut un milieu confortable et rassurant. (C’est à chacune de savoir où est-ce qu’elle se sent le plus à l’aise.)
Le silence est aussi une condition primordiale. Un minimum de paroles doivent être prononcées au cours d’un accouchement pour ne pas déranger le « travail » intérieur de la maman et du bébé. Ce besoin de silence s’explique scientifiquement: La partie du cerveau qui traite le langage est le néo-cortex. Quand il entre en activité, il prend le dessus sur le cerveau archaïque ou reptilien, en charge des instincts primaires. Or c’est le cerveau archaïque qui est à l’œuvre lors de l’accouchement. Il s’agit d’un acte primaire et instinctif qui s’opère dans le silence de la matière, loin de la sphère abstraite du langage et des pensées.
Enfin, la chaleur est une condition sine-qua-non de l’accouchement parce que la sensation de froid bloque la production d’ocytocine. Et si, à la maison, nous disposons de tout le nécessaire (chauffage, cheminée, bon bain chaud…); à l’hôpital c’est différent. Selon le conseil de mon amie Luna qui a passée des heures les pieds dans les étriers sur la table d’accouchement, « Mesdames, prévoyez des chaussettes !»
Donc, pour résumer, un climat de confiance et de sécurité, le silence et la chaleur sont les alliées d’un accouchement naturel réussi.
Le rôle du père
Quelque soit l’endroit choisi, le rôle du père pourra être de protéger au mieux le calme et la tranquillité de sa compagne. Une tâche qui peut être difficile voir impossible face à une équipe médicale turbulente… Au milieu d’un flot de paroles du genre: « Madame Dupont en est à 4,5 d’ouverture du col, son pouls est stable, Sa tension est de dix et demi. L’électrocardiogramme du bébé ne présente aucun ralentissement…Docteur, est-ce qu’on prépare une nouvelle injection? » On imagine mal le père réclamer: « Silence! Ma femme a besoin de calme. » Et pourtant, il aurait raison de le faire. Si sa femme le lui demande, il devrait pouvoir la prendre aisément dans ses bras, lui offrir un refuge apaisant, et l’aider à se positionner en la soutenant. Il peut également lui masser le bas du dos pour calmer, donner confiance, aider le bébé à descendre et le bassin à s’ouvrir. A la maison, c’est lui qui pourra assister la sage-femme en faisant chauffer l’eau ou couler un bain…
Au bout du tunnel: une douce lumière…
Un autre détail important est la luminosité. L’accouchement est un acte intime qui se plaît dans la pudeur d’une lumière tamisée. L’éclat blafard des néons et l’exposition de nos parties intimes relève d’un cruel manque de tact. Surtout, cette lumière est traumatisante pour les yeux fragiles du nouveau-né. Le froid, la lumière et les manipulations dénuées d’amour qu’ils reçoivent dès leur naissance à l’hôpital font que les nouveaux-nés crient et pleurent. Ce « premier cri » est considéré comme normal, voir rassurant. (Et même poétique lorsqu’il devient le titre d’un film) Cependant, on peut se demander quel accueil a t-on réservé à ces nouveaux-nés pour que leur entrée dans la vie résonne en un cri d’effroi? Ne pourrait-on pas les accueillir avec un peu plus d’hospitalité?
Lors de la naissance de notre fils, chez nous, pas de cri, ni de pleur. Ma première impression fut marquée par ses grands yeux noirs ouverts sur le monde. La lueur des bougies donnait un éclairage doux qui, loin de l’éblouir, lui a permis de voir le jour en douceur. Je souhaite que tous les petits humains puissent voir le jour sereinement et leurs mamans leur donner vie avec plaisir…
Puisse cet article vous inspirer.
Céline-élodie Duchemin
Article paru dans Passerelle-éco en 2013
1 L’ocytocine signifie « Accouchement rapide », du grec ôkus: rapide et de tocine: accouchement. Elle est également appelée « hormone de l’amour » puisqu’elle est aussi libérée lors des rapports sexuels. Cela peut donner à penser sur les expériences de naissances orgasmiques. Et si les femmes pouvaient se libérer de la condamnation originelle « Tu enfanteras dans la douleur »? En arrêtant d’y croire et en transformant ce passage en un instant de fête jouissive…
2 A l’hôpital,dans 8 cas sur 10 d’accouchements normaux non déclenchés, on injecte à la femme de l’ocytocine de synthèse (Syntocinon) pour accélérer le travail. Selon une enquête d’Hospimédia, 24 % des femmes subissent ces injections à leur insu, 56% le savent mais n’ont pas eu l’occasion d’exprimer leur consentement. Pour moi, tout cela relève d’une violence insupportable causée par la logique productiviste à l’œuvre dans les hôpitaux.
A voir ou à lire:
Le film Orgasmic birth sur l’accouchement et l’expérience de la naissance orgasmique. (témoignages de couples, suivis d’accouchements dans l’eau, à la maison, à l’hôpital…)
L’essai de Jean Liedloff: Le concept du continuum– A la recherche du bonheur perdu sur l’importance du contact physique mère-enfant et du portage. Comparaison de la place du bébé en occident et dans une tribu d’Amazonie.
L’ouvrage de Frederic Leboyer (gynécologue obstétricien, pour une naissance sans violence) Le sacre de la naissance, un livre de collection où les peintures classiques viennent illustrer un entretient passionnant avec F. Leboyer. Il décrit avec une beauté poignante les phases naturelles de l’accouchement et incite les femmes à se réapproprier l’art de donner la vie.
Le film Le premier cri sur l’accouchement partout dans le monde.
Le documentaire Entre leurs mains de Céline Darmayan sur le travail des sage-femmes qui pratiquent l’accouchement à domicile (AAD).
Aller plus loin
- Le site du collectif de défense de l'accouchement à domicile :
cdaad.org/